Entretien avec Clara onfray

 

 

Quel a été votre parcours jusqu'ici ?

 

Très atypique puisque j'ai commencé par faire des études vétérinaires. J'avais envie d'avoir une activité artistique mais j'étais conscient qu'il faut de la chance pour gagner sa vie comme ça. Alors sur la lancée du bac, j'ai préparé le concours et je suis entré à l'école vétérinaire. Je n'étais pas un cas unique. Parmi mes meilleurs amis là-bas, il y avait Patrick Braoudé qui est devenu acteur et réalisateur, et François Chassagnite, qui vient de mourir prématurément, il était l'un des meilleurs trompettistes de jazz français, remarqué dès ses débuts par Chet Baker… J'ai commencé par écrire des romans, publiés au Mercure de France (Billets d'Absence) et chez Gallimard (Le Simulateur). Et du théâtre. J'en avais fait au lycée, ensuite j'ai suivi des cours d'art dramatique et j'ai fondé une compagnie avec une amie qui était alors au Conservatoire. J'ai toujours été très près des acteurs.

 

Quel était votre tout premier scénario ?

 

C'était une adaptation de mon premier roman, Billets d'Absence, pour le cinéma. Le scénario ne s'est pas tourné mais il a été remarqué. Ensuite, André Téchiné a pris les droits de mon second roman, Le Simulateur. Le projet n'a pas abouti non plus mais cela a été une bonne rencontre. En fait mon premier scénario réalisé, c'était une série documentaire. Puis ma première pièce, Les Grandes Personnes a été adaptée pour la télé. C'est comme ça que j'ai commencé à travailler dans ce milieu.

 

Quelles sont les principales qualités du scénariste ? Doit-il posséder plus de talent que de technique ? L’inverse ? Les deux ?

 

Comme dans toute activité artistique, c'est le talent qui est important. Pendant très longtemps, je n'ai pas compris ce qu'était la technique. Que ce soit pour l'écriture ou pour un acteur. Ce doit être une sorte de savoir-faire qui vous simplifie la vie … Je suppose que ça vient avec un peu d'expérience. On trouve ses repères. On évite de refaire les mêmes erreurs … Par exemple, on s'abstient de passer trop de temps sur une scène – qui vous tient à cœur, on ne sait pas trop pourquoi - avant d'avoir le dessin d'ensemble parce qu'on a compris qu'au bout du compte, elle n'aura peut-être pas sa place dans le dispositif final … La question de la technique, ça me fait penser à Françoise Sagan qui, après 40 ans d'écriture, disait : " C'est curieux, j'ai l'impression que ça commence à devenir un métier ! " Sinon, pour répondre à la première question, une qualité importante pour être scénariste, c'est sans doute la souplesse d'esprit. Ce n'est pas une bonne activité pour les psychorigides.

 

Quelles sont selon vous les principales contraintes de ce métier ?

 

D'abord, des contraintes extérieures à l'écriture même. Celles de toute activité en free-lance. L'incertitude du lendemain … Les contraintes artistiques, je ne les ressens pas parce que j'ai la chance d'avoir une grande liberté sur ce plan-là … Sinon la difficulté peut venir précisément du manque de contraintes. On n'a que celles qu'on s'impose. Pour certaines personnes c'est formidable d'être totalement libre de s'organiser soi-même. Pour d'autres c'est plus compliqué.

 

Quelqu’un vous a-t-il à un moment enseigné l’écriture scénaristique ?

 

Non. J'ai appris en regardant des films. Et en parcourant quelques scénarios.

 

Selon vous, combien de temps mettons nous à devenir un bon scénariste ?

 

Le temps d'écrire un bon scénario. Il n'y a pas de raison pour que ce ne soit pas le premier ! … Bon, après on peut avoir peur de ne plus y arriver. Alors disons le temps d'écrire deux scénarios.

 

Après plusieurs années d’expérience d’écriture de scénarios, pensez-vous qu’il existe des lois qui régissent cette écriture ?

 

Je ne dirais pas des lois. Mais des intuitions, des principes qui se vérifient … Par exemple, les personnages sont toujours les plus forts. Parfois, on voudrait bien que la situation se déroule de telle manière, on se dit que ça ferait une belle scène mais on s'aperçoit que ça ne colle pas avec le tempérament des personnages, que cela les oblige à faire des contorsions … Il ne faut pas insister. Tant pis pour la belle scène, on en trouvera d'autres … Ou alors, de manière plus pragmatique : ne pas donner à lire un texte dont on n'est pas satisfait … J'aime bien la phrase de Céline : " On ne fait pas voyager les passagers dans la soute à charbon ! " … Avec un scénario, c'est parfois compliqué parce qu'on est tenu par des délais définis par contrat. C'est peut-être là que l'expérience joue un peu. Il faut convenir de délais qui vous laissent le temps de trouver.

 

Peut-on facilement vivre de ce métier ?

 

Cela se saurait ! … Il est plus prudent d'avoir un boulot à côté avant de se lancer. Un boulot qui vous laisse du temps pour écrire … Là aussi c'est très personnel. Je trouverais qu'un travail à mi-temps dans les assurances, c'est très bien. Mais je connais un auteur qui avait précisément un très bon boulot dans les assurances. Bien rémunéré, libre tous les jours à 14 heures, pas de transport. Eh bien, il l'a vécu comme un enfer, ce qui ne l'a pas empêché d'écrire des bonnes histoires d'ailleurs. Peut-être même que ça l'a aidé … C'était Franz Kafka.

 

De manière générale, est-ce un travail long ? Cela varie-t-il ? Un travail solitaire ? Parfois collectif (vous est-il déjà arrivé de travailler en équipe ?) ? Si oui, comment cela se déroule-t-il ? Que préférez-vous ? Pensez-vous qu'il vaut mieux être deux pour écrire ?

 

Ce qui aide pour un scénario, c'est que généralement, il y a une commande. Le texte est attendu. Comme c'était le cas pour le feuilleton à l'époque de Balzac … Ca encourage à travailler vite. Je pense que c'est un avantage … Ce n'est pas très agréable de porter un scénario pendant des années et ça ne donne pas forcément les meilleurs résultats … Disons qu'en général un scénario s'écrit moins vite qu'une nouvelle et plus vite qu'un roman … J'écris généralement seul. Mais par nature c'est un texte qui a un caractère collectif. Parce qu'on a des regards et des avis dès les premiers stades du développement. On fait le point régulièrement. Contrairement au roman. C'est la différence entre le cabotage et la traversée en solitaire.

 

Continuez-vous d’écrire sur papier ou est-ce que l’usage de l’ordinateur est désormais devenu indispensable ?

 

L'ordinateur est incontournable. On envoie les textes par mail, etc. Mais cela ne m'empêche pas d'écrire ou de corriger aussi sur papier. Surtout aux premiers stades. Cela me paraît plus propice à la rêverie.

 

Vous est-il déjà arrivé de reprendre pour inspiration une de vos situations personnelles (familiales, amis, proches...) ? Y aurait-il de cette manière une part d’expérience personnelle et une autre d’invention et de fiction ?

 

Oui, ça m'est déjà arrivé mais c'est rare. Par exemple, une ancienne petite amie que je n'avais pas revue depuis des années m'a appelé un jour pour me demander de lui faire un enfant. Elle était très bien dans sa vie de célibataire et souhaitait l'élever seule mais elle avait quand même besoin de quelqu'un pour le concevoir et elle hésitait entre faire appel à moi ou à un inconnu recruté par les petites annonces … J'ai refusé. C'était très loin de moi cette idée de mettre un enfant au monde comme ça. Elle a donc opté pour la deuxième solution. Et cela s'est plutôt bien passé … Je trouvais que c'était une mauvaise idée mais un bon sujet de comédie. J'en ai fait le point de départ de ma première pièce, Les grandes personnes. Et cela s'est plutôt bien passé aussi… D'une façon générale, je suis plutôt porté sur la fiction. Mais l'expérience personnelle est essentielle pour le ressenti.

 


On dit que les scénaristes n’assistent que très rarement aux tournages... Savez-vous pourquoi c'est le cas ? Faites vous en partie ?

 

C'est qu'ils sont déjà en train d'écrire leur scénario suivant !… Souvent, on n'a pas grand chose à faire sur le plateau pendant que les autres travaillent… Je vais toujours sur les tournages parce que j'aime y retrouver les acteurs, l'équipe, être dans la concrétisation de l'écriture… Ceci dit, la présence de l'auteur n'est pas forcément inutile. Je pense même que ça peut être très bien en termes de qualité. Par exemple, il y a quelques mois, j'étais présent quand on a tourné la dernière scène d'un film que j'ai écrit. Entre deux prises, j'ai proposé au réalisateur de faire des coupes dans le texte. Il était d'accord. La fin est devenue plus elliptique et elle est mieux … Certains réalisateurs, au cinéma, veulent d'ailleurs que leur scénariste soit là. Mais c'est un luxe assez rare. Renoir a imposé la présence de Prévert pendant le tournage du Crime de M. Lange et à mon avis, c'est son meilleur film, avec quelque chose de très libre, très spontané dans le jeu, comme si c'était improvisé. Une improvisation contrôlée.

 

Quel(s) rôle(s) les critiques jouent-elles dans ce métier ? Etes vous affecté par celles-ci ? En avez-vous

peur ?

 

On est toujours affecté par la critique à moins d'être autiste. Ceci dit, ils oublient généralement de citer le scénariste. Ce qui est un avantage s'ils n'ont pas aimé le film. Et un inconvénient sinon.

 

Vous travaillez plus pour vous, le réalisateur, le public ? A qui pensez-vous en premier ? Quel est l'avis qui vous importe le plus ? Quand vous écrivez, pensez-vous à l'attente du spectateur ou au contraire, jamais ?

 

Je pense toujours au spectateur. Ou plus exactement à moi-même en tant que spectateur. J'écris les films que j'aimerais voir.

 

Avez-vous déjà travaillé pour le cinéma et pour la télévision ? Quelles principales différences en retenez vous ?

 

Je ne vois aucune différence en termes de qualité ou d'exigence d'écriture. Pas plus qu'avec le roman ou le théâtre d'ailleurs. Les codes qu'on intègre sont des codes de production. Il faut que ça puisse se tourner en 22 jours, si c'est un 90 mn pour la télé, et tenir dans le budget. Ce n'est pas très contraignant. Bien sûr, certaines narrations cinéma sont peut-être plus difficiles à imposer pour un film télé. Par exemple, j'adore les scénarios très destructurés comme chez Inarritu (21 grammes, Babel…) Un diffuseur aurait peut-être peur que le public décroche, s'il s'agit d'un film unitaire. En revanche, c'est un principe de narration courant pour une série. Il en est de même si on veut installer un ton très particulier : la série est sans doute plus propice… Dans l'organisation, la principale différence c'est qu'au cinéma, on co-écrit presque toujours avec le réalisateur alors, alors qu'à la télé, les tâches sont plus souvent dissociées.

 

Voyez-vous une différence entre le travail d’adaptation et le scénario original ? Est-ce que le fait d’adapter ne serait-il pas plus simple ?

 

D'une façon générale, c'est plus simple d'adapter un livre que de concevoir toute l'histoire sans avoir d'assise. Même si au bout du compte l'adaptation est très éloignée de l'œuvre d'origine.

 

Vous arrive-t-il de travailler dans l'urgence ? Avez-vous déjà dû abandonner des projets en cours de route ?

 

Oui, cela m'arrive. Par exemple, on m'appelle pour un film dont les dates de tournage sont fixées mais dont le scénario est en panne. Cela peut être très bien. On est obligés d'aller à l'essentiel. On ne vous demande pas de réécrire inutilement. C'est souvent sur ces projets-là qu'on perd le moins de temps.

 

Avez-vous déjà protégé une idée de scénario ? Comment faut-il s’y prendre ? Est-il essentiel de protéger ses manuscrits ?

 

Pour être protégeable, une idée doit être un peu développée. Il faut au moins un synopsis de deux, trois pages. Avec un angle personnel. Ce qu'on protège c'est l'antériorité du projet au cas où il serait repris ailleurs (et attirerait des millions de spectateurs !) Il me paraît indispensable de protéger un sujet avant de le faire circuler. Surtout pour avoir l'esprit tranquille. Il y a différentes procédures possibles. On peut s'adresser le texte, en recommandé (sans ouvrir l'enveloppe !) Personnellement, je le dépose à la SACD.

 

Quelle «tâche» est la plus difficile selon vous, transmettre l'émotion, trouver le début, la fin, les personnages ?

 

Quand on se lance dans l'histoire, tout paraît difficile. L'idée c'est qu'à la fin, tout paraisse simple … Le plus important pour moi, c'est toujours les personnages, leur vérité, leur singularité. L'émotion naît de leur vérité. Le début, la fin, souvent ça change …

 

Le réalisateurs, les acteurs, peuvent-ils corriger, supprimer des parties de votre texte ? Le font-ils souvent ? Cela vous dérange-t-il ?

 

Un texte est toujours susceptible de bouger. C'est normal. Cela ne me dérange pas du tout. Mais il vaut mieux le corriger ensemble. Avec le producteur, le réalisateur, les acteurs … Je n'aime pas qu'on le fasse dans mon dos. Pas par excès de zèle mais parce que le résultat est rarement bon. Et l'écueil le plus commun c'est qu'on modifie une scène sans mesurer l'incidence que cela aura sur l'économie générale de l'histoire. L'auteur est le mieux placé pour garder une vue globale … Il faut réunir des gens capables de travailler ensemble et avancer groupés !

 

Ecrire, est-ce que c'est plus une envie, un besoin, un travail ? Est-ce que cela vous est devenu nécessaire ? Parfois, est-ce une contrainte ? Vous arrive-t-il d'être "à court d'inspiration" ?

 

L'écriture fait partie de ma vie. Elle m'est nécessaire, oui. Comme pour d'autres dessiner. Ou, disons, faire de la bicyclette … Mais pas forcément l'écriture de scénarios … Quand on est à court d'inspiration, à mon avis faut pas se faire de mal Je recommande fortement l'école buissonnière.

 

Pensez-vous qu’il existe une différence visible entre un jeune scénariste un plus âgé, qui aurait de l’expérience ?
 Et entre un scénariste et une scénariste femme ?

 

Bien sûr les sensibilités, les regard sur les personnages ne sont pas les mêmes. Cela peut-être très bien de travailler avec un scénariste d'une génération différente et de l'autre sexe ou d'une autre culture.

 

Procédez-vous par étapes ? Si oui, lesquelles ? Ou au contraire écrivez-vous vos idées dans le désordre avant de les assembler ?

 

L'écriture d'un scénario se fait habituellement en trois étapes, précisées par contrat. Un synopsis, qui présente l'histoire originale ou le projet d'adaptation et qui définit le sujet. Puis une continuité non dialoguée ou séquencier : le film y est raconté scène par scène mais sans les dialogues. (sauf quelques bribes par ci, par là, pour donner le ton). Et enfin la continuité dialoguée : le scénario tel qu'on le voit classiquement avec la colonne action d'un côté, les dialogues de l'autre … À chaque stade, on recueille des avis. Cela permet d'avancer en phase avec ses partenaires. C'est comme un contrat artistique qu'on valide à chaque étape.

 

Lors de la première projection du film terminé, est-ce que vous êtes généralement déçu de l’adaptation et de l’interprétation, au contraire satisfait...?

 

Ces derniers temps, j'étais plutôt satisfait. C'étaient de bonnes rencontres. Mais aussi, on avait bien travaillé en amont ensemble.

 

Connaissez-vous d’autres scénaristes ? Partagez-vous beaucoup d’idées avec eux ?

 

J'en croise mais pas tant que ça. Je n'aime pas beaucoup parler boutique. Je suis plus proche des acteurs.

 

 

Y a-t-il un/des scénariste(s) pour qui vous ressentez une grande admiration ? Lesquels (décédés ou vivants, français ou non) ?

 

Parmi les scénaristes que j'aime beaucoup, certains écrivent aussi dans d'autres domaines, certains sont aussi réalisateurs. Je citerai en vrac Guillermo Arriaga (21 grammes, 3 enterrements …), Almodovar (qui a dû écrire seul presque tous ses films), Chaplin (id), Prévert, Tenessee Williams, Arthur Miller, Harold Pinter (sa magnifique collaboration avec Losey), Hanif Kureishi, Jacques Audiard …

 

Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à quelqu’un qui voudrait faire ce métier ? 

 

De se donner des ailes tout en gardant les pieds sur terre.